Récit #5

Les pénuries d’énergie et de matières premières que chacun annonce permettront-elles l’émergence – enfin – d’un mouvement low-tech ? Dans cette nouvelle – sous forme d’article de presse – on l’imagine déployé par l’ONU et aidé par l’adoption au niveau mondial d’une taxe sur les plateformes numériques. De quoi changer la face du monde.


Un Smartphone pour tous

Un Smartphone pour tous

Le 11 juin prochain, Fatoumata Siko accédera à la présidence de l’UNEAEO – la United Nations Electronic Access and Education’s Organisation. En trois ans, l’organisation internationale a fortement contribué à modifier les usages et le paysage numérique mondial. La future présidente est une artisane de la première heure de l’égalité numérique. Retour sur trois ans d’un combat qui a totalement changé la planète.

Avril 2025. L’accord est historique et fait la une de l’ensemble des journaux de la planète. Le 9 du mois, 176 États réunis sous l’égide de l’ONU signent un accord sur la taxation des géants de l’électronique et du numérique. Ce n’est bien sûr pas la première fois que ce type d’accord est annoncé, on se souvient des multiples déclarations du G20 les années précédentes, mais jamais aucune annonce n’avait eu cette ampleur. Il faut dire que les circonstances, notamment écologiques, étaient exceptionnelles.

À cette époque, Fatoumata Siko fait partie de l’équipe des négociateurs de l’accord, et travail plus particulièrement aux échanges avec les pays africains. Elle se souvient de la pression qu’il y avait à trouver un accord.

« La pression populaire était immense. Déjà en 2021, lors de la crise du Covid-19, on avait pressenti les effets de manque de matériaux sur l’économie. Dans les pays occidentaux, on s’inquiétait de la disponibilité de certains composants électroniques. Mais depuis plus de deux ans, les pénuries– les métaux rares surtout, mais pas seulement – étaient devenues systématiques, et avaient totalement chamboulé le paysage économique mondial et les modes de vie. De nombreuses entreprises avaient dû réduire leur production, et compenser la rareté de leur produit par une augmentation dramatique de leur prix. Un véritable cercle vicieux : moins de travail, un chômage en hausse, des produits autrefois accessibles dont les prix flambent, un pouvoir d’achat en baisse... Ajoutez à cela la capacité d’évasion fiscale des grands groupes du numérique et leurs appels récurrents aux aides publiques... Le cocktail était explosif. Il était temps d’agir. »

En Afrique, là où officie Mme Siko, la pression est d’autant plus forte que le continent est alors devenu l’un des premiers fournisseurs de matières premières de la planète. L’exploitation des ressources du continent par différentes multinationales depuis des décennies est de plus en plus mal vécue. Les négociations, au niveau du continent, sont ressenties comme la dernière chance d’éviter des troubles plus violents.

C’est deux mois plus tard, le 11 juin 2025, que l’ONU annonce la fondation de l’United Nations Electronic Access and Education’s Organisation dont le siège est symboliquement situé à Lagos (Nigéria), la ville où Fatoumata Siko a fait ses études et a servi auprès de différentes ONG, notamment l’UNICEF et l’UNESCO. Elle rejoint assez naturellement la nouvelle fondation et prend en charge le déploiement du projet d’éducation au numérique en Afrique de l’Ouest.

Dans un communiqué publié peu de jours après sa nomination, elle exprime clairement ses ambitions pour l’organisation :

« Puisqu’il est admis que, malgré les pénuries, le numérique est un facilitateur d’accès à l’information, à la démocratie et au progrès social, l’UNEAEO se doit d’éduquer le plus grand nombre aux usages des réseaux numériques. Tout comme l’UNESCO l’a fait depuis longtemps pour l’alphabétisation. Notre programme est ambitieux : donner aux citoyens à la fois des compétences techniques et une compréhension politique de la neutralité de la technologie, mais surtout les sensibiliser, partout et en toute circonstance, à la protection de leur vie privée et de leurs données personnelles. Pour cela, pour eux et avec eux, il nous faut mener une ambitieuse politique d’ apprentissage des techniques et des outils numériques, et s’assurer que chacun d’eux possède une adresse électronique, sache utiliser les services publics numériques pour réclamer ses droits, trouver un emploi, accéder à une couverture médicale et sociale. Bref, faire enfin, et de manière ambitieuse, du numérique un outil d’égalité et d’émancipation ! »

Les actions de l’UNEAEO ne se limitent pas aux citoyens. L’organisation onusienne travaille également main dans la main avec de nombreux gouvernements pour le déploiement d’une administration numérique réellement égalitaire. Grâce aux retours d’expérience des pays occidentaux qui avaient parfois poussé la virtualisation de leur services publics un cran trop loin, une démarche globale d’inclusivité est mise en place. Et les systèmes déployés sont basés sur des technologies libres et open-source.

L’ironie étant que toute cette éducation est cette fois financée par les grands groupes du numérique.

Les opérations suivantes de l’UNEAEO ont leur origine à Gandhinagar, en Inde, et plus exactement au sein du NID, le National Institute of Design. Fondée en 1961, l’institut était en 2026 à la pointe des enseignements sur le recyclage, la conception frugale et le design-orienté-fonctionnel (FOD), les considérations esthétiques appuyant la conception écologique des objets.

Ce qui sort en février 2026 des laboratoires étudiants doit beaucoup à l’Afrique et à Fatoumata Siko : le CitizenPhone est le fruit d’une collaboration étroite entre Gandhinagar et Lagos. Les théories de l’université indienne trouvent en Afrique de l’Ouest, où pullulent les décharges électroniques, un terrain d’expérimentation idéal. Des laboratoires des deux universités sort un assemblage hétéroclite de puces et de circuits permettant deux choses : pour les utilisateurs, un accès aux services numériques vitaux – un email, un accès aux services publics, un service de messagerie – et pour l’environnement, la possibilité de recycler les tonnes de smartphones démodés qui atterrissaient chaque année dans les décharges publiques des pays en voie de développement.

« Ce CitizenPhone est vite devenu un projet de choix pour le redressement de certains des pays les plus touchés par la crise des pénuries. D’un côté, le recyclage des appareils électroniques garantissait un emploi à beaucoup de personnes. De l’autre, ces téléphones complétaient à merveille les programmes d’éducation mis en place quelques mois plus tôt. Bien entendu, les travailleurs des usines de recyclage furent les premiers dotés de l’appareil. Et très vite, les plans de ces nouveaux smartphones citoyens et leur OS ont fait l’objet d’un partage gratuit, open-source afin de profiter au plus grand nombre. »

En à peine un an, le CitizenPhone va avoir un impact gigantesque sur l’économie mondiale et même la géopolitique. Très vite, l’appareil va devenir extrêmement populaire partout sur le globe, et en particulier dans les pays les moins avancés où la matière première abonde. La première conséquence, c’est un bouleversement global de la géopolitique des déchets : les vieux appareils électroniques acquièrent très vite une haute valeur sur le marché international. Les pays occidentaux conservent alors jalousement leurs stocks de télé, d’ordinateur ou de smartphone usagés et les utilisent comme arme de guerre économique. Assez vainement d’ailleurs… il y avait déjà en 2018 plus de smartphones en circulation que d’habitants sur Terre, la ressource ne manque pas.

Le symbole de ce changement d’époque, est sans conteste la chute de Huawei en juin 2027. Sur un marché de plus en plus restreint, il était devenu impossible pour de trop nombreux fabricants d’appareil électroniques de cohabiter. Pénurie de matériaux, envolées des prix… l’arrivée d’un CitizenPhone termine d’achever certaines sociétés en réduisant de fait leur marché historique. Les grands acteurs de l’électronique qui avaient dominé les années 2010 sont, en 2027, devenus des entreprises de niche, réservés à quelques ultra-riches.

Mais surtout, le CitizenPhone a provoqué un véritable changement dans les usages. Aux premières loges de cette révolution, Fatoumata Siko en témoigne encore aujourd’hui :

« Porté par l’UNEAEO, en parallèle de ses actions d’éducation, le CitizenPhone a véritablement provoqué un changement des mentalités. Privés, à la source, des données qui étaient à la base de leurs modèles économiques, de nombreux services n’étaient plus accessible que sur abonnement. Les utilisateurs formés par la Fondation ont pris conscience de l’importance de leurs données personnelles et de l’exploitation qui en était faite. Nous avons été aidés en cela par la conjoncture économique : les pénuries et l’augmentation des prix ont souvent rendu impossibles l’accès à ce qu’on considérait comme des biens ou un service de base seulement dix ans auparavant. Le smartphone est vite redevenu un simple outil de communication pour ces populations. »

À mesure que les parts de marché du CitizenPhone progresse, notamment dans les pays occidentaux, les géants de la donnée doivent repenser leur modèle économique. Certains, comme Facebook, optent pour la mise en place de service premium à destination de quelques ultra-riches pour lesquels certains de ses services restent pertinents : accès haut-débit par satellite, services à la demande… une sorte d’oasis hors du temps. D’autres, comme Google, terminent d’opérer le virage B2B qu’ils avaient déjà entamé quelques années plus tôt. Aujourd’hui, la firme de Palo Alto est avant tout un fournisseur de solutions intelligentes pour les entreprises et a récemment racheté son vénérable concurrent IBM.

Après de si grands changements, quelle feuille de route pour l’UNEAEO ? À la veille de son accès à la présidence de l’UNFEAE, Fatoumata Siko est toujours aussi ambitieuse :

« Notre priorité, aujourd’hui, c’est de finaliser le déploiement du CitizenPhone qui équipe déjà 73% de la population mondiale. Nous ne cherchons pas à niveler l’accès aux outils numériques par le bas, mais plutôt à garantir que ceux-ci, pensés pour le plus grand nombre, soient bénéfiques pour chacun quel que soit ses origines et ses conditions de vie. »


Pour aller plus loin


un projet LINC - Plan.Net France