Climat et données dans l'actualité
L’industrie du numérique pollue. Rien de bien nouveau dans ce constat. Et son impact sur notre planète ne cesse de grandir.
Suivant les études, et suivant surtout les moments auxquels celles-ci sont menées, l’industrie du numérique serait la cause d’autant, voire de plus d’émissions de CO₂ que l’ensemble du transport aérien sur la planète [1]. Et ce n’est là qu’une des facettes de sa contribution à la crise environnementale.
La fabrication des appareils électroniques nécessite une exploitation massive de ressources naturelles, et notamment des terres rares. Le recyclage de nos smartphones et autres objets connectés est loin d’être parfait, quand il n’est pas simplement délaissé au profit d’une décharge dans les pays les moins avancés. Et l’exploitation des datacenters qui envahissent la planète nécessite d’importantes quantités de ressources, notamment d’eau, alors même que de nombreuses régions de la planète souffrent de crise hydrique [2]. Les alertes de plus en plus nombreuses quant à l’état de notre planète et aux risques qui planent sur le climat mondial semblent faire écho à la numérisation au galop de notre monde. Et la situation ne s’améliora sans doute pas dans l’immédiat. Les Big Tech annoncent régulièrement l’ouverture de nouveaux centres de données, parfois dans les endroits les plus improbables et certains spécialistes anticipent un bond dans la consommation énergétique dû au déploiement massif de la 5G dans les pays occidentaux et asiatiques principalement suite au renouvellement massif des équipements [3].
Toutefois, face à la crise écologique – dont 2021 avec ses feux géants et ses inondations pourrait être la première année type –, certains pensent toujours que la technologie est LA solution. Pour maîtriser les conséquences immédiates de cette crise tout d’abord. Les technologies de suivi de la météo se font de plus en plus nombreuses et précises, pour prévenir et alerter en cas d’évènement climatique extrême. Poussant cette logique à l’extrême, des pays comme Dubaï ou la Chine investissent dans la météo-ingénierie en développant par exemple des drones capables de provoquer la pluie en cas de vague de chaleur [4]. Une technologie servant souvent d’alibi pour ne pas investir dans d’autres domaines
Certains milliardaires vont jusqu’à prôner un recours plus extrême à la technologie. On rêve alors de géo-engineering, d'appareils capables de capter et stocker les milliards de tonnes de CO₂ que nous émettons [5], ou, plus radicalement encore, « d'exiler » les industries polluantes dans l’espace afin de préserver la Terre [6]. Un recours à la technologie qui s’envisage alors sur le très long terme, quand il ne tient pas carrément de la science-fiction.
Mais loin de ces fantasmes, la technologie peut-elle nous aider à lutter contre le dérèglement climatique ici et maintenant ? À défaut de s’attaquer directement aux conséquences de la crise climatique, les outils numériques sont utilisés aujourd’hui dans un rôle de sensibilisation aux gestes responsables. Ainsi, à l’instar des suivis de nos comptes bancaires, nous pouvons désormais suivre notre impact écologique. Les applications mobiles de certaines banques proposent aujourd’hui un équivalent carbone de nos dernières dépenses [7]. Les applications de domotiques suivent de la même façon notre consommation énergétique, et indirectement la pollution que nous émettons en réglant le chauffage sur une certaine température ou en prolongeant notre douche de quelques minutes [8]. Notre « performance écologique » est désormais traquée.
Ce suivi individuel de la consommation et de la pollution – directe ou indirecte – n‘est pas sans poser des questions, notamment de protection des données. Qui aujourd’hui peut se dire réellement garant de cette mesure écologique ? Qui peut prétendre avoir une visibilité complète sur l’impact environnemental d’une voiture électrique – de sa construction à sa mise à la casse, ou son recyclage ? Comment garantir l’exhaustivité, la véracité et la neutralité d’informations qui peuvent avoir à terme un si grand impact sur notre vie quotidienne ?
Car ce suivi n’ouvre-t-il pas la voie à une société du contrôle, dans laquelle une performance écologique supérieure donnerait droit à des privilèges, au mépris des droits fondamentaux à la protection des données et de la vie privée, au mépris de ceux qui n’ont pas les moyens de consommer mieux ? Une société écologique à deux vitesses mainte fois décrite dans la fiction, parallèle du fossé parfois créé par la numérisation à marche forcée de services publics.
Face aux risques pour la planète et pour la société, certains prônent au contraire la décroissance, voire l’abandon des technologies numériques [9]. Une extrémité à laquelle nous serions poussés par les pénuries d’énergie et de matières premières que le monde devrait subir dans les années à venir. Mais n’est-il pas déjà trop tard pour cela ? La technologie s’est glissée dans tous les pans de notre société : dans nos mémoires personnelles, dans l’organisation de nos systèmes politiques, économiques, comme dans les administrations publiques. Abandonner la technologie, nous exposerait au risque d’abandonner la mémoire et les souvenirs que nous avons accumulés au cours des dernières décennies. La numérisation a également permis de faciliter l’accès à des services pour de nombreuses personnes.
De même que la question des liens du numérique à l’environnement n’est pas binaire, les solutions à apporter à l’urgence écologique ne sont pas aussi simples que la simple pression sur un interrupteur.
Entre ces deux extrêmes, peut-être y’a-t-il une place pour l’ambition d’un monde numérique plus frugal. Aujourd’hui, notre consommation effrénée de gadgets connectés, combinée à l’obsolescence programmée mise en place par les géants de l’industrie électronique fait figure de coupable idéal. L’émergence, un peu partout, d’une tendance low-tech stimulant un développement moins industriel, plus démocratique, des technologies – à l’image de ce qui s’opère dans les fablabs [10] – se combine à la réapparition d’un besoin de réparabilité [11], de maîtrise des objets. Se réapproprier les objets numériques pour en faire une consommation plus raisonnée est peut-être l’un des mouvements les plus impactant que le monde technologique peut opérer aujourd’hui. Il peut se combiner avec des mouvements citoyens de réappropriation des données, et notamment le développement de « capteurs citoyens » offrant une plus grande transparence sur la crise écologique en cours et ses effets [12].
L’imbrication du numérique dans notre société, et son impact sur la planète, méritent sans doute mieux que des solutions rapides et expéditives. Une réflexion de fond à laquelle les six fictions proposées sur ce site peuvent modestement contribuer.
Références
- Réchauffement climatique : le secteur du numérique génère plus de gaz à effet de serre que l'aviation - Futura Sciences / 18 septembre 2021
- La voracité en eau des data centers de Google – Siècle Digital / 4 avril 2020
- Maîtriser l’impact carbone de la 5G – HCC / 20 décembre 2020
- Dubai is making its own fake rain to beat 122F heat – The Independent / 21 juillet 2021
- Elon Musk lance un concours pour capturer le CO2 de la planète, avec 100 millions à gagner – Ouest France / 18 février 2021
- Jeff Bezos veut déplacer les industries polluantes dans l’espace, pour préserver la Terre – Presse Citron / 22 juillet 2021
- Bank Clients in Sweden Face New Climate Hurdle to Get Credit – Bloomberg / 2 février 2021
- Greenly, l'app qui calcule notre empreinte carbone et récompense nos gestes écolo – L’ADN / 30 janvier 2020
- « Crise climatique : nous devons apprendre à désinnover » - Le Monde / 3 septembre 2021 (tribune)
- Rennes : ils fabriquent des objets pour améliorer le quotidien des personnes handicapées – France 3 / 24 octobre 2020
- Tout savoir sur l’indice de réparabilité – Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance / 10 mars 2021
- Le sensor journalism ou la « captologie citoyenne » - RTS / 11 janvier 2020