Climat et données dans la science-fiction

La science-fiction a depuis longtemps imaginé la fin de notre monde. De multiples façons et pour de multiples raisons. Bien avant l’extinction provoquée de la moitié des êtres vivants de l’univers dans le Avengers: Infinity Wars (2019 - Anthony et Joe Russo) de l’univers Marvel, les humains se sont posé la question de la fin de leur vie sur Terre. D’abord comme un phénomène naturel, inévitable. C’est ce que découvre le protagoniste de La Machine à explorer le temps, écrit en 1895 par le pionnier du genre H. G. Wells. Poussant sa machine au plus loin possible, épuisé, il ne trouve qu’une Terre méconnaissable peuplée de monstres gigantesques, semblables à des mollusques. Une Terre sur laquelle toute trace de l’humanité a disparu.

Cette disparition, c’est Rosny l’Ainé qui l’explique le premier, et sans doute le mieux, dès 1910 dans ce qui pourrait être le premier roman apocalyptique : La Mort de la Terre. Il raconte la vie des derniers hommes sur Terre, soumis à un environnement toujours plus hostile et décrit surtout un aveuglement face aux changements climatiques qui n’est pas sans rappeler la situation actuelle :

« À ces époques fort anciennes, aux premiers siècles de l’ère radioactive, on signale déjà la décroissance des eaux : maints savants prédisent que l’Humanité périra par la sécheresse. Mais quel effet ces prédictions pouvaient-elles produire sur des peuples qui voyaient des glaciers couvrir leurs montagnes, des rivières sans nombre arroser leurs sites, d’immenses mers battre leurs continents ? »

Une telle vision préfigure les idées fixes de la science-fiction pour le siècle à venir. Pas seulement l’apocalypse, mais la survie des humains sur une Terre devenue subitement hostile. En 1942, Ravage de René Barjavel décrit un monde dans lequel la Terre se révolte : l’électricité devient inopérante, les progrès technologiques deviennent inutiles. La seule survie est un retour à la terre et aux techniques ancestrales, traditionnelles. L’homme doit apprendre à vivre avec la colère naturelle qu’il a provoqué.

Blade Runner - Ridley Scott

Ce thème de la cohabitation avec un environnement en crise devient récurrent. Le monde de La Planète des singes de Pierre Boulle en 1963 est la survivance d’une crise écologique qui a emporté tous les animaux domestiques. Dans Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick en 1968, ces-mêmes animaux ont été remplacés par des robots et l’homme a appris à vivre sur une planète ravagée. Ce n’est peut-être pas un hasard si c’est un film inspiré de cette nouvelle qui définira la vision du futur pour plusieurs décennies. Blade Runner de Ridley Scott en 1982 montre un monde dominé par la technologie – les voitures volantes, les androïdes, les corporations géantes – mais irrémédiablement obscurci par la pollution et rongé par les pluies acides. Symbole de tout l’univers Cyberpunk, Blade Runner est devenu l’un des symboles du désastre écologique à venir. Un symbole plus prégnant encore depuis l’Orange Sky qui a frappé la Californie en 2020 et dont Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve, 2017) était prémonitoire.

Blade Runner 2049 - Denis Villeneuve

San Francisco Orange Sky during Fire Season - The sky was blotted during the Northern California fire season. Aerial images taken September 9 2020

Mais c’est peut-être à Neuromancien, le roman initiateur du genre de William Gibson que revient le mérite d’avoir pu décrire le paysage de l’apocalypse écologique en une seule première phrase :

“The sky above the port was the color of television, tuned to a dead channel.” *

The Last of Us II - Naughty Dog

Face à ce désastre écologique, comment les humains réagissent ? Ils apprennent d’abord à survivre. Ravage, encore, décrit des hommes inadaptés à la fin de leur règne technologique, tels des huitres arrachées à leur coquille. Mais la volonté humaine est bien souvent la plus forte. Les jeux vidéo tels la série de Fallout, The Last of Us ou Death Stranding regorgent de ces histoires. La survie devient même une routine pour Will Smith dans Je suis une légende (Francis Lawrence - 2007), voire une habitude pour les héros des Livres de la Terre fracturée de N.K. Jemisin (2015) dont le monde est régulièrement secoué par une série de cataclysmes remettant en cause la civilisation.

Wall-E - Andrew Stanton

Geostorm - Dean Devlin

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tenté de réagir. La science-fiction regorge de tentatives, souvent technologiques, de réparation de la planète. Ce sont ces robots nettoyeurs chargés de juguler la pollution galopante dont Wall-E est le dernier représentant dans le dessin-animé signé Pixar (Andrew Stanton - 2008). Ce sont des satellites capables de contrôler la météo, de dissoudre les cellules orageuses ou de faire pleuvoir qui gravitent autour de la terre dans Geostorm (Dean Devlin – 2017). Mais bien souvent, la machine ne peut rien. Elle arrive trop tard. Nous sommes loin aujourd’hui de la vision optimiste d’un Isaac Asimov imaginant la régulation de l’activité humaine par un ordinateur géant dans Les Robots en 1950 :

« Dîtes plutôt quelle merveille ! Pensez que désormais et pour toujours les conflits sont devenus évitables ! Dorénavant seules les Machines sont inévitables. »

Alors, faute d’une technologie qui répare, certains récits décrivent une humanité qui s’adapte et apprend à contrôler son développement. Neal Stephenson, dans le monde futuriste du Samouraï virtuel en 1995 raconte ces ingénieurs soucieux de préserver les écosystèmes mêmes en construisant les mégalopoles les plus modernes, sachant que les écosystèmes pouvaient devenir extrêmement pénibles si l’on s’avisait d’y mettre le bordel. Noémie Aubron imagine elle une Monnaie inter-espèces (2021), donnant un pouvoir économique à chaque être vivant sur Terre, qu’il soit humain, animal ou végétal. Car la régulation économique semble être la seule à pouvoir fonctionner. C’est encore à la régulation que Ursula Le Guin fait appel quand il s’agit de préserver les ressources naturelles face aux travers humains dans Les Dépossédés en 1975, car…

« De tels luxes, si on les autorisait librement, tendraient à épuiser des ressources naturelles irremplaçables ou à polluer l'environnement de leurs déchets, aussi étaient-ils sévèrement contrôlés par la réglementation et le fisc. »

Malheureusement, la science-fiction donne aujourd'hui peu d'indices sur les façons concrètres de contrôler la consommation de chacun. Et encore moins sur la façon de limiter l'impact de cette consommation sur la planète. Et pourtant, les œuvres dystopiques ne sont en général pas avares de solution quand il s'agit de contrôler les comportements humains. Ou même simplement de les suivre et les évaluer.

Black Mirror / Nosedive - Joe Wright

Minority Report - Steven Spielberg

Certains univers des plus récents reposent sur ce suivi permanent de notre activité. Dans l’épisode Chute libre de la série anglaise Black Mirror (Joe Wright - 2016), chaque être humain est suivi, noté en permanence par ses pairs et cherche une sorte de reconnaissance universelle. Dans le roman Les Furtifs d’Alain Damasio (2019), les capteurs sont partout et permettent non seulement suivre l’activité de chaque individu mais également de le cibler avec des contenus publicitaires. Une idée qu’avait déjà exploité Steven Spielberg dans une scène devenue mythique de son Minority Report en 2002. Des usages qui ne répondent aucunement à l'urgence écologique, et bien souvent mettent nos libertés en danger.

Peut-être simplement la preuve qu’il n’y a pas de bonne fiction sans menace.


* « Le ciel au-dessus du port était couleur télévision calée sur un émetteur hors service ».

Références

  1. 🎥 Avengers: Infinity Wars – Anthony et Joe Russo / 2019
  2. 📗 La Machine à explorer le temps – H. G. Wells / 1895
  3. 📗 La Mort de la Terre – Rosny l’Ainé / 1910
  4. 📗 Ravage – René Barjavel / 1942
  5. 📗 La Planète des singes – Pierre Boulle / 1963
  6. 📗 Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? – Philip K. Dick / 1968
  7. 🎥 Blade Runner – Ridley Scott / 1982
  8. 🎥 Blade Runner 2049 – Denis Villeneuve / 2017
  9. 📗 Neuromancien – William Gibson / 1984
  10. 🕹 Fall Out - Bethesda Softworks / depuis 1997
  11. 🕹 The Last of Us – Naughty Dog / 2013
  12. 🕹 Death Stranding – Kojima Productions / 2020
  13. 🎥 Je suis une Légende – Francis Lawrence / 2007
  14. 📗 La Cinquième saison – N.K. Jemisin / 2015
  15. 🎥 Wall-E – Andrew Stanton / 2008
  16. 🎥 Geostorm – Dean Devlin / 2019
  17. 📗 Les Robots – Isaac Asimov / 1950
  18. 📗 Le Samouraï virtuel – Neal Stephenson / 1995
  19. 💻 Monnaie Inter-espèces – Noémie Aubron / 2021
  20. 📗 Les dépossédés – Ursula Le Guin / 1975
  21. 📺 Chute Libre – Joe Wright / 2016
  22. 📗 Les Furtifs – Alain Damasio / 2019
  23. 🎥 Minority Report - Steven Spielberg / 2002

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